Fondée en 2015, la compagnie Ebnfōh revient cette année avec une toute nouvelle création « In-Ward ». Alexandra « Spicey » Landé, chorégraphe et directrice artistique de la compagnie, nous propose encore une fois une création dont le langage chorégraphique prend racine dans la culture hip-hop et, où les interprètes incarnent en toute authenticité une expressivité brute et fascinante. Retour sur une soirée riche en émotion.
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C’est dans une ambiance conviviale que le public entre dans la salle où il peut s’installer des deux côtés de l’espace scénique. Mentors installés sur le côté, observateurs actifs du spectacle, musique hip-hop en fond et danseurs répartis dans tout l’espace, des escaliers aux murs, en passant par les gradins et le centre de la pièce. Enjoués et maitres de leurs freestyles, on a l’impression d’entrer dans un cypher élargi où tout ce qui compte est le plaisir de s’exprimer par le corps.
Cependant, on comprend que tout peut rapidement basculer. En effet, l’alchimie du groupe laisse vite place à l’isolement de chacun dans une justesse interprétative à souligner. Finalement, le groupe s’effrite et se reconstruit en sous-groupes qui tentent d’influencer les individus qui restent seuls. On peut voir ici l’inspiration de la chorégraphe, à savoir la fameuse citation de Sartre « L’enfer, c’est les Autres », tirée de la pièce de théâtre Huit Clos.
Dans cet enfer, un nouvel élément entre en jeu: le vêtement, ici en l’occurrence un large coton ouaté. Il fait alors office de véritable outil de danse, d’incarnation d’une personnalité. Grâce à lui, les interprètes se cachent, s’épuisent à se débattre ou se révèlent durant tout le spectacle.
Emmitouflés dans le creux de leur capuche, on ne les reconnait plus. Finalement, ils ne sont plus personne, mais ils sont unis. Dans des unissons dynamiques et suants de vitalité et de précision, les danseurs se retrouvent et forment de nouveau une réelle communauté.
L’ambivalence humaine en corps
Seul élément de décor, le banc, lui aussi transforme la danse et les sentiments que les interprètes nous transmettent. Il peut s’avérer un partenaire de jeu et de création à plusieurs moments de la pièce. Cependant, il dévoile aussi son aspect sélectif et restrictif. Tout le monde ne peut pas s’asseoir sur un seul et même banc. Il se remplit vite et peut créer à son tour des tensions.
Les interprètes ressentent et transmettent ses tensions qui alternent de l’union à la triste solitude avec une justesse corporelle et sensitive remarquable. Se dévoiler devient, pour certains, synonyme de s’isoler. Pour les autres, le besoin de s’exprimer est trop fort. Chacun leur tour, les artistes entrent dans leur subtilité stylistique, qu’il s’agisse du popping, du break ou du waacking, afin de montrer leur vrai visage malgré le poids d’une société, toujours présente, qui les ramène à un besoin de conformité.
En ce qui concerne la chorégraphie, elle nous propose une palette originale de gestuelles et se construit toujours autour d’émotions. Les duos et les trios se forment au rythme des sons, s’étalent dans tout l’espace et nous offrent des performances corporelles épatantes. On a parfois envie d’entrer dans la danse avec eux et de partager cette fusion organique et temporelle.
Les gros sons hip-hop s’enchainent et se défont parfois pour une musique légère qui teinte les danseurs d’un certain humour noir et d’une touche d’absurdité. À d’autres moments, la solitude et la difficulté d’être intégré dans un groupe reprennent le dessus. Le malaise est palpable, tant dans les corps que dans l’ambiance de la salle.
Entre orgueil personnelle, préjugés et besoin d’exil, les six incroyables interprètes de la pièce « In-Ward » nous font passer par diverses sensations corporelles et affectives. Une pièce à voir, et à revoir!